Le Cercle des poètes disparus : retour sur un film de droite mal compris

Le Cercle des poètes disparus : retour sur un film de droite mal compris

J'en entends déjà qui s'insurgent dans la salle, en prenant leur plus bel accent vendéen : « Quouah ? Le Cercle des poètes disparus, un film de droite ? Mais vous avez perdu la tête, jeune homme ! »

Et ces cinéphiles courroucés d'ajouter : « Un film de droite, c'est le sacrifice de Léonidas dans 300, c'est le roi Baudouin défendant la terre sainte dans Kingdom of Heaven, c'est l'indomptable volonté d'une Scarlett O'Hara dans Autant en emporte le vent, c'est notre bon et regretté général Charette s'opposant à l'ignominieuse Révolution, dans Vaincre ou Mourir… »

À cette dernière évocation, ils ne peuvent retenir un hoquet sanglotant, mais continuent cependant, emportés par l'émotion : « Ce n'est en tout cas certainement pas ce film gauchiste dans lequel un prof insupportable pousse des enfants à saccager nos belles traditions ! Ah ça non ! »

Ce à quoi je répondrais, leur tendant un mouchoir et les invitant à reprendre leur souffle : « …Et pourtant mes amis, et pourtant ! »

Encensé par la critique, adulé par les adolescents rebelles et autres sociologues rêvant de renverser l'ordre établi, Le Cercle des poètes disparus défend en réalité les bonnes valeurs.


Important : nous en disons le moins possible sur la fin du scénario, rien en tout cas qui puisse selon nous gâcher une première vision. Vous pouvez donc profiter de cet article et découvrir le film ensuite.


Un film antisystème ?

Rappelons d'abord qu'il s'agit d'un film de Peter Weir sorti en 1989. Robin Williams y incarne John Keating, un nouveau professeur dans un prestigieux pensionnat privé du Vermont ; ce prof va pousser ses élèves à remettre en question leur éducation, dans un esprit typiquement soixante-huitard.

Il est facile de s'arrêter à ce premier niveau de lecture : un environnement sévère, un prof antisystème, des collégiens tombant sous son charme, l'establishment qui se défend…

Allons cependant plus loin.

 

La situation initiale : l'apogée de la civilisation

Que nous raconte réellement Le Cercle des poètes disparus ?

La première scène plante le décor : nous sommes dans l'Amérique d'après-guerre, c'est la rentrée et les élèves, leurs parents et les enseignants se rencontrent dans une école d'excellence, pour écouter le discours inaugurant cette nouvelle année.

Cette scène d'introduction semble banale, mais elle est primordiale. Elle nous montre en effet l'aboutissement concret d'une civilisation avancée. C'est-à-dire :

  • Un environnement magnifique, à la fois naturel et maîtrisé par l'homme après des siècles d'efforts.
  • Une architecture raffinée.

L'école servant de cadre au film existe réellement.

  • Une technologie apportant le confort moderne.
  • Des personnes sachant se comporter, se tenir et échanger de manière courtoise.
  • Sont également présentés, en un beau cérémoniel, les « quatre piliers » de l'école : Honneur, Tradition, Excellence, Discipline.


Les quatre étendards représentant les valeurs à suivre :
Honneur, Tradition, Excellence et Discipline.

Surtout, le film montre l'institution permettant de former les hommes qui rendent cette société possible, c'est-à-dire les futurs ingénieurs, médecins, écrivains, architectes, hommes d'affaires et d'État, etc.

(Notez que le propos serait le même s'il concernait des classes sociales moins aisées : une histoire montrant la formation des futurs charpentiers, paysans et autres boulangers aurait les mêmes qualités.)

Ce qui est présenté au début du film, et qui est bien trop souvent pris par la gauche comme un acquis évident, est donc à la fois une société fonctionnelle, pacifique, scientifique, confortable… mais aussi la manière même grâce à laquelle on atteint et maintient ce niveau.

Bref, l'apogée de la civilisation occidentale telle qu'elle était à l'époque.

 

 

Les fondements de la civilisation

Détaillons ce point parce qu'il est au cœur de notre argument : la société et l'institution scolaire sont liées, l'une et l'autre s'étant engendrées au fil des générations. Changer l'une, c'est changer l'autre.

Dans son introduction à la Critique de la raison pure, Kant prend l'exemple d'une colombe persuadée que l'air environnant la freine et qu'elle volerait bien plus librement dans le vide. Sauf que dans le vide, ses ailes n'ont aucun appui et l'oiseau tombe comme une pierre.

C'est une métaphore similaire que nous offre Robin Williams lorsque, sous les traits du professeur Keating, il encourage ses élèves à se débarrasser de ce qui les entrave pour suivre leur passion, notamment dans une fameuse scène où il leur fait déchirer leur livre. Nous sommes quelques années avant le « jouir sans entraves » de Mai 68, qui donnera les résultats que l'on connaît.

Comme beaucoup d'idéalistes, Keating est persuadé qu'il peut détruire les bases de la civilisation (l'éducation, la hiérarchie…) sans que cela n'ait de conséquence sur les bienfaits qu'elle apporte : la technique, le confort, la sécurité, la santé…

Le Cercle des poètes disparus va justement montrer par différentes méthodes que Keating se trompe.


La priorité, entretenir l’existant

Dans une scène clef, Keating et le directeur échangent leurs points de vue :

Keating : Je démontrais aux élèves les dangers du conformisme.

Nolan : Mais John, le cursus est au point ! Il est prouvé qu'il marche ! Si vous le remettez en question, qu'est-ce qui empêchera les élèves de faire de même ?

Keating : J'ai toujours pensé que le but de l'éducation était d'apprendre à penser par soi-même.

Nolan : À l'âge qu'ont ces garçons ? Jamais de la vie ! Tradition, John. Discipline. Préparez-les pour l'université et le reste suivra naturellement.

Face à l'autorité, inquiète pour le futur des enfants,
le rebelle ne peut cacher un sourire narquois.

On retrouve ici ce qui fonde l'idéologie de droite : d'abord entretenir l'existant, en transmettant règles, traditions et valeurs, puis seulement, éventuellement, innover dans la continuité. Léonard de Vinci, Beethoven ou Victor Hugo se sont d'abord pliés à l'étude des générations précédentes avant de trouver leur propre voie… mais toujours en respectant leurs anciens maîtres.

La gauche étant réfractaire à la notion de transmission, elle veut sauter cette étape. Elle considère l'enfant aussi expérimenté que l'adulte, l'élève aussi savant que le maître ; puisque tout procède selon elle non pas du travail mais de l'intuition et de la passion.

Comme l'analyse finement cet article, l'enseignement de Keating se base en fait sur l'irrationalité, à l'inverse du raisonnement logique que nous ont légué les Grecs et les Lumières.

L'aboutissement de cette idéologie est la société d'adulescents éternels que nous sommes devenus aujourd'hui : des individus pour qui les récompenses immédiates priment sur l'effort collectif et le long terme.


Prof ou gourou ?

Le Cercle des poètes disparus se termine sur une scène mélodramatique dans laquelle les enfants montent sur leur table pour saluer d'un tonitruant « Oh capitaine, mon capitaine ! » le départ de Keating.

 

Cette scène est remarquable de subtilité dès lors qu'on s'aperçoit que le professeur attend exprès le moment adéquat pour traverser la salle pleine d'élèves. En effet, rien ne le force à s'exposer de la sorte. Il aurait pu venir seul, avant les cours, récupérer ses affaires et partir sans que personne ne le remarque.

Pourquoi donc a-t-il décidé d'agir de la sorte ? Eh bien c'est un des messages du film : Keating n'est pas le héros romantique venu apporter l'émancipation à des élèves avant que ceux-ci ne soient formatés par la terrible civilisation capitaliste.

Non :  Keating est un gourou narcissique qui jouit de voir un maximum d'enfants suivre sa voie plutôt que leur voie.

Le but de Keating : que des ados en short le vénèrent comme un dieu.

C'est encore plus clair dans une autre scène où il leur explique qu'ils peuvent l'appeler, au choix, « monsieur Keating » ou « capitaine »… sauf qu'il refuse ensuite de répondre à ceux qui l'appellent « monsieur Keating ».

Des films profondément moraux

La filmographie de Peter Weir donne une piste supplémentaire quant à l'orientation idéologique du Cercle des poètes disparus.

Peter Weir en 1985

Ses films suivent un schéma récurrent : ils mettent systématiquement en scène des communautés fermées, généralement oppressives, perturbées par un élément extérieur. 

Mais loin d'être hollywoodienne, la morale découle du comportement du protagoniste principal et surtout de la communauté dont il fait partie, toutes n'étant pas logées à la même enseigne : 
  • Jim Carrey dans The Truman Show est un innocent enfermé malgré lui dans un reality show ? Le dénouement lui offre la liberté tandis que la société qui l'oppresse est ruinée ; 
  • Russell Crowe dans Master and Commander est un capitaine impitoyable mais qui écoute in extremis les conseils de son ami ? Il triomphe mais pas complètement ; 
  • Harrison Ford dans Mosquito Coast est un survivaliste fou entraînant sa famille au cœur d'une jungle infernale ? Il meurt mais ses enfants survivent. 

Notablement, la « contre-société » semblant la mieux jugée, dans l'œuvre de Weir, est la société amish de Witness ; probablement parce que ses membres sont libres de la quitter s'ils le souhaitent.

Bref, les films de Peter Weir sont profondément moraux et nous décrivent des systèmes plus ou moins oppressifs mais aussi les effets pervers des faux libérateurs. 

Nous pouvons donc logiquement conclure que si Le Cercle des poètes disparus se termine par un drame, c'est que l'exemple du professeur est néfaste.

 

Peter Weir : un discret réalisateur anticommuniste

Le dernier projet de Peter Weir est d'ailleurs le plus explicitement politique : Les Chemins de la liberté (2011) décrit des évadés du goulag parcourant des milliers de kilomètres pour fuir l'enfer soviétique.

Dans une interview donnée à l'occasion de sa sortie, le réalisateur affirme être opposé à tous les totalitarismes, qu'ils viennent du nazisme ou du communisme.

Peter Weir remarque : « Pourquoi les jeunes portent-ils encore
des T-shirts Che Guevara comme si c'était une icône pop ? »

Et il conclut :

« Même aujourd'hui, quand je parle à des amis des horreurs du communisme, de Lénine, de Staline… je sens des résistances : beaucoup n'arrivent pas à admettre que cette expérience a été un désastre horrible. »

.

 

L'utopie gauchiste vue par Peter Weir (Les Chemins de la liberté).


Conserver ou évoluer ?

Le Cercle des poètes disparus nous montre ce qu'il advient lorsqu'on veut, non pas faire évoluer harmonieusement la société pour en corriger les défauts, mais tout chambouler sans se soucier des conséquences pour l'ensemble de la structure.

Notre civilisation n'est pas parfaite (aucune ne l'est), mais elle existe et c'est l'une des meilleures que le monde ait jamais connues.

À ce titre, l'internat du film peut être vu comme la droite tradi actuelle : un bon fond mais trop stricte, sévère, manquant de fun ; et John Keating comme le poison woke qui éradique tout.

Une alternative, que l'on nommerait, au hasard, Une Bonne Droite, qui reprendrait les fondamentaux solides de la droite mais dépoussiérés, en y injectant une dose respectueuse de vitalisme joyeux, serait alors une voie à explorer.



Baron Grenouille

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1 commentaire

Excellente analyse. Les idéologies de gauche appellent systématiquement à faire table rase de tout ce qui nous précède ce qui est, par nature, contre-productif. Que construire et que transmettre si tout est rasé au fur et à mesure à chaque génération ? Il est temps que les gens comprennent les principes de base de construction d’une civilisation : cela se fait petit à petit par couches successives, rabotage, corrections, polissage, et à chaque étape, transmission des acquis aux jeunes générations pour continuer la construction, mais en n’oubliant jamais que toute œuvre est imparfaite et appelée à être sans cesse améliorée. Si on casse tout à chaque étape, on n’y arrivera jamais.

Bordes

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