Avoir 9 enfants est une expérience qui peut paraître incroyable de nos jours, où les familles nombreuses sont devenues relativement rares. Pourtant, c’est une aventure unique et passionnante, remplie de défis, de joies et de satisfactions. Je m’y suis lancée, et maintenant que mes enfants sont presque tous grands, faisons le bilan.
La rencontre avec mon mari
Je suis mariée depuis 30 ans avec un professeur de philosophie (« Chuck ») : nos enfants ont entre 29 et 11 ans. Comment cette aventure conjugale a-t-elle débuté ? Car il s’agit bien d’une aventure, et c’est ainsi que n’importe quel être humain, homme ou femme, doit envisager le fait de fonder une famille : un des plus grands défis qui soit !
Mon enfance ne plaidait pas forcément pour une telle évolution : à l’adolescence, vivant au sein d’un milieu catholique traditionnel bourré de familles nombreuses, je me sentais rejetée avec ma « petite » fratrie de trois et mes parents désunis. J’éprouvais une attraction-répulsion envers ces familles nombreuses que je côtoyais : je les trouvais parfois arrogantes, cruelles, leur insouciance me faisait mal, moi qui vivais des scènes de ménage chez moi, dans un appartement qui m’opprimait.
Ma vie a pris un tournant lors de ma première année d’études de philosophie à Paris ; un jour de mai, je croisai à un passage piéton un étudiant de deuxième année, un beau rouquin au « look » rustique et improbable et au regard intense. Nos regards se sont croisés un dixième de seconde, en plein milieu du boulevard. C’est le coup de foudre.
Mes premiers pas en tant que mère
Nous nous sommes fréquentés très sérieusement rapidement ; à 20 ans (21 pour lui), j’étais fiancée. Il s’avère que Chuck est lui-même catholique pratiquant, ce qui était important pour moi. À peine mariée, je pensais à la maternité : nous n’en avions pas beaucoup parlé avec Chuck durant nos fiançailles, car là aussi l’évidence s’imposait à nous : nous nous mariions pour avoir des enfants, une vie de famille, sans qu’il soit forcément question d’un nombre en particulier.
Je tombai enceinte de mon aîné rapidement, pendant notre première année de mariage. Cette première grossesse fut une révélation pour moi : 9 mois de bonheur (et de fatigue aussi, il faut l’avouer). Je n’avais pas l’expérience que j’ai maintenant, et m’occuper de mon premier bébé en étant isolée de ma famille n’a pas été de tout repos !
Ma cadette est née rapidement après mon aîné. Et avec deux enfants en bas âge à 22 ans, j’en ai bavé… comme tout le monde. La banalité écrasante du quotidien me submergeait à un âge où tout ne devait être que vie trépidante, enrichissement intellectuel, activités passionnantes et rencontres avec des étudiants de mon âge. L’acceptation d’un quotidien, qui est la pierre angulaire du mariage, a été, me semble-t-il, la clé pour réussir ce dernier.
Agrandir la famille : ajuster la vie à sa petite tribu
À la naissance de notre troisième, nous avons eu l’opportunité de partir en province, et ma vie a changé du tout au tout : je rencontrais enfin de vraies jeunes mamans plus ou moins de mon âge, nous habitions une jolie maison plus abordable financièrement, je découvrais les joies et la beauté de la nature.
La vie en province a vu naître nos 3 enfants suivants. J’ai dû m’occuper parfois seule de nos six enfants, pendant que mon mari logeait deux nuits par semaine à Paris pour subvenir à nos besoins. Ces jours « solo » n’étaient pas désagréables : je pouvais me concentrer sur mes enfants plutôt que sur mon couple et c’était aussi reposant pour moi d’une certaine façon.
Tout allait globalement bien, si ce n’est l’épineux problème des véhicules : nous avons dû très vite avoir deux voitures et nous sommes devenus des inconditionnels d’abord d’une Renault Espace puis des Jumpy neuf places (acquis avec l’aide d’un petit don familial, pour le premier) et de « tacots » sur roues. Chuck a appris à tout réparer sur les voitures et dans la maison alors qu’il avait deux mains gauches au départ. Bon, il a fallu assumer certains voyages épiques à 11 dans le Jumpy, avant que les aînés ne s’émancipent et passent leur permis de conduire.
Devenir une famille de 11
Mon mari, nos 6 enfants et moi avions trouvé un équilibre plaisant, malgré les défis qu’une famille nombreuse implique au quotidien. Et… surprise, je suis alors tombée enceinte de jumeaux. J’étais ravie, mais mon mari était plutôt sur la réserve : il craignait pour ma santé, la santé des petits, pour la charge financière que cela impliquait, ce qui a été assez difficile à vivre pour moi, même si ça a fini par se dénouer.
Nous pensions que nos jumeaux seraient nos derniers enfants, mais c’était sans compter sur la crise de la quarantaine… 8 ans après nos derniers enfants, notre petite dernière est née. Je me souviens de ma première visite chez une gynécologue où je m’excusais presque d’être enceinte : « rassurez-vous, Madame, à votre âge la plupart des femmes attendent aujourd’hui leur premier… »
Philosophie d’une parentalité « responsable »
Un épisode de nos fiançailles m’a marquée : nous avions suivi une formation aux méthodes naturelles de régulation de naissances. Les formateurs, un couple expérimenté, avaient insisté sur l’importance de contrôler les naissances : « sinon vous serez dépassés par trop d’enfants alors que vous êtes jeunes et sans grands moyens financiers ! Il vous faut exercer une paternité et une maternité responsables ». Cette infantilisation m’a laissée sans voix. Qui peut prétendre être responsable face à la création d’une vie ?
Aujourd’hui, avec le recul, j’ai pu répondre à cette question de la paternité ou maternité responsables en inversant le raisonnement : on devient responsable lorsqu’on assume, là aussi sur le long terme, les enfants qui nous sont nés. Avoir une paternité et maternité responsables c’est faire face au défi de l’éducation, de la charge des enfants jusqu’à leur émancipation. Ce n’est pas être parfait (psychologiquement, matériellement, moralement) AVANT de se lancer dans la parentalité : à ce train-là on n’est jamais prêt.
En ce qui me concerne, voir mon mari assumer son rôle de père a énormément nourri mon amour et mon admiration pour lui. Il m’a donné le plus beau cadeau qu’un homme puisse faire à une femme : des enfants, et il a accepté de nombreux enfants ! Il a parfaitement assumé ces derniers malgré les difficultés financières, il s’est démené pour nous rendre une vie agréable et un foyer douillet, il a littéralement « tout donné ». Il s’est même lancé dans les cryptomonnaies, et ses quelques gains ont pu payer certains travaux et certaines vacances !
Astuces & leçons d’une maternité réussie
Nous avons, me semble-t-il, toujours accordé une importance primordiale à notre couple, Chuck et moi ; et c’est passé par de petites règles pratiques comme : pas d’enfants dans la chambre conjugale (sauf évidemment allaitement et maladies) et par le fait que lorsque nous avons fait construire notre maison, nous avons choisi de positionner notre chambre très loin des chambres des enfants. C’est un peu notre refuge à nous, là où nous sommes mari et femme et pas parents. Ces dernières années, nous prenons le temps de partir tous les deux pour des courts séjours (une soirée) dans un hôtel (pas loin de la maison), histoire de nous ressourcer à deux.
Cette aventure conjugale a été, en ce qui me concerne, le plus grand défi de ma vie : j’ai réfléchi, très tôt, à la façon de réussir et ma vie de couple et ma vie de famille, à partir de l’échec conjugal de mes parents et à partir de mon observation des familles nombreuses qui m’entouraient, j’ai commencé à préciser mon « plan », un peu comme un athlète de haut niveau se prépare à passer une épreuve. Et la comparaison avec l’athlète est la bonne : durant toute ma vie, j’ai été attentive à ménager mon corps aussi bien en pensant à mes grossesses et à mes enfants qu’en pensant à mon couple : je n’avais pas du tout envie de me « laisser aller » comme j’avais pu le voir dans bon nombre de familles autour de moi où la mère ressemble plus à une femme de ménage qu’à une épouse, et j’avais bien compris que pour éduquer un certain nombre de bambins, il me fallait être très en forme physiquement et bien dans ma tête.
De même, accepter la banalité, la régularité, la charge du quotidien comme un athlète ne déroge jamais à son entraînement quotidien. Faire face donc au quotidien mais savoir aussi s’en extraire, le dépasser pour prendre soin de soi-même, de son couple et de ses enfants. Car les charges du quotidien ne sont pas un but en soi mais qu’un moyen de parvenir à l’harmonie et au bonheur dans le couple et la famille.
Transmettre cette envie
Aujourd’hui, nos 9 enfants ont entre 29 et 11 ans ; les 8 premiers sont majeurs (de 19 à 29 ans), et notre dernière est entrée au collège. La plupart des aînés sont mariés, certains depuis cet été : tous ont leurs passions et leurs préoccupations, et c’est une joie incroyable que de les voir grandir, évoluer, s’émanciper, entretenir les liens entre eux.
Plus qu’un choix individuel de vie, j’inscris mon rôle de mère de 9 enfants dans une communauté plus large et dans la société en général. Vouloir se marier et avoir une famille est quelque chose qui s’apprend dès le plus jeune âge, à nos filles et à nos garçons. L’être humain est ainsi fait qu’il a besoin de projections positives pour vivre : il est donc important de présenter, par son propre exemple et par un peu d’éducation qu’il s’agit d’une aventure, d’un grand défi et alors, la paternité, la maternité, la famille deviennent des concepts nobles, enthousiasmants, positifs.
Bref, comme le dit Finkielkraut dans Le mécontemporain : « Il n’y a qu’un aventurier au monde, et cela se voit très notamment dans le monde moderne : c’est le père de famille. Les autres, les pires aventuriers ne sont rien, ne le sont aucunement en comparaison de lui. »
Illustrations : UBD & Maria Majorette
Merci Axelle pour ces belles lignes qui décrivent la joie d’être parents, de construire, de s’aimer. Bonne continuation, que Dieu vous bénisse .
Bravo pour ce magnifique témoignage qui me replonge dans ma vie familiale :
Je suis l ‘ aîné de 8 enfants ( 5 garçons et 3 filles ) et père, avec ma femme Hélène, de 5 enfants (3 garçons et 2 filles ) et grands parents de 12 petits enfants (6 filles et 6 garçons, parité oblige ! )
???? Tout va bien même quand ça va pas. ..! ! !
C’est ça la vie et la « vraie » France.
un récit merveilleux et je suis sincère
Merci pour ce très beau témoignage. Quel de bonheur dans la création d’une famille malgré les difficultés que cela peut être.