On ne présente plus Julien Rochedy : probablement un des idéologues déchaînant le plus les passions et qui, à travers une demi-douzaine d’ouvrages, est déjà bien installé dans le paysage intellectuel de la droite radicale. Son nouveau livre, Surhommes et sous-hommes, dessine des horizons ambitieux et étonnera par certains partis pris.
Mais est-il pour autant à la hauteur de ce qu’il annonce ?
La préface : « Pourquoi j’écris de si bons livres »
Dès la préface, Julien Rochedy s’amuse d’attirer le chaland avec un titre tape-à-l’œil pour lui servir ensuite, non pas un simple essai, mais une surabondance d’idées. Cette vantardise pourrait énerver mais il faut reconnaître que Surhommes et sous-hommes, loin d’être une simple balade dominicale, ressemble plutôt à une randonnée de haute montagne : abrupte, intense et débouchant sur une vue remarquable.
Ceux qui suivent déjà l’auteur retrouveront là plusieurs de ses réflexions habituelles, déjà esquissées dans Nietzsche l’actuel (2020) ou Philosophie de Droite (2022), mais présentées dans un cadre plus large, puisque pensées pour une application pratique et civilisationnelle.
« La volonté, c’est l’énergie prenant conscience d’elle-même. »
Vers un idéal aristocratique
À travers sept chapitres, Julien Rochedy expose sa vision du monde de manière agréablement didactique ; il fonde d’abord sa morale sur des bases scientifiques, en premier lieu la loi de conservation de l’énergie ; puis montre que ses propriétés sont liées aux valeurs de droite traditionnelles. Ainsi, l’ordre qui maintient l’harmonie est supérieur au chaos qui dissipe l’énergie, tout comme une société civilisée est préférable à des émeutes urbaines.
« Toute vie commence par dire non, toute vie commence par se défendre.
À ce titre, perdre de vue qu’il existe des ennemis est la plus grande erreur que n’importe quel organisme peut commettre. »
L’ouvrage avance en alternant les contraires : entropie & harmonie, nihilisme & civilisation, déracinement et localisme… ce qui rend stimulante la lecture. Chaque aspect négatif de notre modernité est en effet contrebalancé par un idéal que chacun peut travailler à faire advenir, individuellement ou collectivement. Par exemple, répondant à la sensiblerie woke, Rochedy invoque l’humanisme originel, c’est-à-dire non pas l’humanisme dégénéré d’aujourd’hui mais celui de la Renaissance, qui était un effort d’édification constant pour s’extraire du commun.
« Ce n’est jamais l’homme nu et grossier que les humanistes ont aimé, mais ce que le matériel humain pouvait éventuellement devenir. »
Parmi la myriade de thèmes abordés on trouve l’aristocratie, l’éducation, la surconsommation, l’évolution génétique, l’intelligence artificielle, l’immigration, le futur de l’Europe, de spiritualité, ou les causes du déclin, avec de nombreuses réflexions douces-amères sur cette faiblesse occidentale qui nous a conduits à ne plus vouloir dominer le monde.
« Refluant de tous les continents par gentillesse anticoloniale – alors que nous aurions parfaitement pu massacrer tout ce beau monde (c’est, en tout cas, ce qu’un Romain n’aurait pas hésité à faire) – nous y avons laissé notre médecine, nos méthodes et un peu de notre âme. »
Pour ce qui est du style lui-même, Surhommes et sous-hommes est vraiment agréable à lire. Outre l’emphase typiquement nietzschéenne, on sent que Rochedy a ciselé méthodiquement chaque phrase, en n’oubliant pas une pointe d’humour, qui fait que l’on sourit régulièrement en tournant les pages.
« Notre époque souffre d’une maladie assez rare dans l’histoire, appelée “sociologisme”. »
Il y a parfois des choix curieux : Rochedy prend le temps de rappeler que Platon est le plus grand des philosophes, mais cite ensuite Sloterdijk ou Harari sans plus les introduire, comme si nous étions tous familiers avec leurs travaux. Ou encore lorsqu’il ouvre une parenthèse sur les Alphas et les Sigmas, reprenant de manière incongrue le vocable des vidéos masculinistes.
Mais, dans l’ensemble, chaque section donne envie de lire la suivante ; on s’arrête régulièrement pour songer aux propositions les plus polémiques (sur l’éducation ou l’eugénisme par exemple) ; on se plonge avec intérêt dans les abondantes notes de fin d’ouvrage et, avant qu’on s’en soit rendu compte, le livre est fini et notre tête remplie de visions enthousiasmantes. On s’interroge alors sur les possibilités d’existence concrètes de cette fameuse Biocivilisation.
« Peut-être notre erreur fondamentale – avoir accordé une valeur particulière à l’homme, à l’homme en soi. »
Biocivilisation : la Nature comme socle
Penchons-nous justement sur le concept principal de l’ouvrage, qui a provoqué beaucoup de débats dans nos milieux : la Biocivilisation.
« La droite se plaint des effets d’un monde que par ailleurs elle défend. »
Le terme a pu faire craindre que Julien Rochedy ne soit devenu une sorte de Greta Thunberg à barbe, se faisant l’apôtre naïf d’un communisme rural réfractaire au progrès technique. Soyons clairs : il n’en est rien.
Rochedy pointe effectivement une incompatibilité entre le paradigme de droite et le modèle productiviste, en particulier parce que ce dernier nourrit l’immigration de masse, mais son livre explicite sa pensée, et elle est bien de droite, radicalement de droite même.
Sa thèse se base sur une intuition déroutante mais fascinante :
« Les écologistes sont, sans le savoir, à la pointe du nouvel impérialisme occidental en engendrant les conditions nécessaires pour que nous devenions, à nouveau, un modèle. »
C’est-à-dire qu’au lieu de se lamenter sur la décadence, la disparition du sentiment religieux, la laideur du monde, l’énervante moraline écolo, ou encore le Grand Remplacement, Rochedy théorise, dans un retournement copernicien, que l’écologie sera la clef pour résoudre ces malheurs.
« Qui ne voit pas que l’écologie est en train de devenir le nouveau véhicule de notre suprématisme planétaire ? »
En effet, si cette idéologie était court-circuitée par des hommes à l’esprit joyeusement aristocratique, elle deviendrait non plus une contrainte imposée par des foldingues néo-hippies, mais une force au service des valeurs de droite.
« Une civilisation écologiste ne sera possible et envisageable que dans la mesure où les populations seront à nouveau fixées sur place, aux lieux qui les ont vues naître et qui transpirent les gènes de tous leurs ancêtres accumulés. »
Une telle écologie serait donc enthousiasmante car à la fois identitaire et tournée vers le Beau. Dans cette optique, la notion de limites n’est plus subie comme un diktat imposé par les technocrates bruxellois alliés à la gauche écolo, mais prend une dimension aristocratique qui vient contrebalancer les inconvénients de la mondialisation sans pour autant sortir du capitalisme. À l’image de quelqu’un s’interdisant de la junk food, non pas pour lutter contre le réchauffement climatique, mais parce qu’il est dans une logique d’amélioration personnelle.
En fait, un amour sincère de la Nature pourrait être l’équivalent au XXIe siècle de ce que le christianisme a été pendant longtemps : une surcouche éthique évitant le règne sans partage de la finance sans frontière.
« Nous ne voulons pas abolir le capitalisme au profit d’un socialisme insupportable, nous voulons prioritairement le moraliser en lui donnant un surmoi, autrement dit des contraintes, une responsabilité renouvelée et une cause supérieure à laquelle obéir. »
Julien Rochedy dresse d’ailleurs un parallèle entre écologie et christianisme. Le christianisme a en effet d’abord été la religion des faibles face à un Empire romain tout-puissant, avant d’accompagner la civilisation européenne vers la grandeur. De même, explique-t-il, l’écologie, qui est actuellement la religion des pouilleux gauchistes, pourrait, prise par le bon bout, accompagner nos projets les plus nobles.
« C’est à peine si nous commençons à entendre la voix du devoir qui nous appelle ;
c’est à peine si nous commençons par nous souvenir du royaume qui nous est dû. »
Il y aurait alors, certes, décroissance, mais des aspects négatifs de notre modernité : surproduction, immigration de masse, pollution, bétonisation, crétinisation, etc., et au contraire une croissance canalisée vers le sublime et l’identité occidentale… ce qui n’exclut en rien la conquête spatiale.
« Leur rendre l’horizon, voilà quel devrait être le principe de toute véritable écologie.
Et en vérité rien ne serait plus aristocratique. »
Conclusion : à suivre…
Surhommes et sous-hommes est un livre à la fois intelligent et stimulant qui apporte des pistes originales pour penser la droite de demain.
À ce titre, sa lecture nous semble indispensable ; d’autant que Julien Rochedy réussit à manier la radicalité tout en restant relativement pragmatique, ses propositions découlant finalement d’une logique bien compréhensible.
S’il ne fallait exprimer qu’un regret, ce serait une impatience : que le manifeste promis dans la préface, qui devra détailler politiquement sa biocivilisation, n’existe pas encore.
Quelques citations
« N’importe quel effort physique et intellectuel est au préalable une douleur,
une relégation au second plan de la sensibilité. »
« L’inférieur est essentiellement ce qui ne peut rien dominer et ne veut rien maintenir. »
« À chaque fois qu’un enfant ouvre les yeux pour la première fois sur le monde, sa biologie s’attend à contempler une forêt… »
« Le monde dont nous héritons n’est finalement qu’une somme de volontés passées. »
« Être satisfait de soi-même est généralement le signe avant-coureur du déclin. »
« La nature et la tradition – le sain – nous apprenaient que c’était non à la force de demander pardon, mais bien à la faiblesse. »
« Le processus absolument fou de la totale désinhibition est peut-être lui-même l’essence secrète de la modernité. »
« L’écologie occidentale sera humaniste, ce qui signifie qu’elle sera sans pitié. »
« Peut-être avons-nous commis la plus grande erreur possible à notre égard à cause de notre sensiblerie, notre gentillette naïveté et notre immense vanité. »