Vous vous en souvenez forcément. Ce tableau a marqué vos manuels scolaires, à tel point qu’il est gravé dans vos mémoires :
Bicorne doré et cape vermillon, hissé fièrement sur son cheval couleur de cendre, le Napoléon de Jacques-Louis David incarne à la perfection l’esprit épique de l’art néoclassique. Achevée en 1801 par l’un des peintres français les plus célèbres de son temps, la toile est un artefact incontournable du courant artistique auquel elle appartient ; un courant qui, vous l’aurez deviné, sera tout l’objet de cet article.
Le néoclassicisme, c’est le retour à l’antique et aux représentations tragiques du monde classique ; c’est l’héritage esthétique de la civilisation gréco-romaine, sublimée par des couches séculaires d’excellence européenne. Un art qui aura marqué son époque par sa profusion de peintures, sculptures, architectures et créations graphiques en tout genre ; un art du sublime, du grandiose, dont les prouesses techniques n’ont depuis guère trouvé leur pareil.
Le néoclassicisme serait-il la preuve ultime et irréfutable de l’existence d’un génie européen ? Enfin, si tel est le cas, est-il possible que celui-ci fasse un jour son grand retour en Europe ? C’est ce que nous allons voir dans ces quelques lignes. Sans plus tarder, laissez-moi vous conter brièvement l’histoire du plus grand mouvement artistique de tous les temps (allons-y franchement !).
Avant le néoclassicisme : la frivolité du rococo
Et si nous commencions par pique-niquer dans les jardins de Versailles, ça vous dit ? Tant mieux, car c’est tout à fait l’esprit du rococo, un courant artistique précédant le néoclassicisme qui me servira habilement de transition à notre sujet principal.
Nous sommes au début du XVIIIe siècle, vous prenez le thé non loin d’un charmant parterre de fleurs, accompagné par les demoiselles de la Cour aux merveilleuses robes de soie ; vous laissant aller généreusement aux frivolités qu’offre votre statut de noble (autant dire que les choses se passent plutôt bien pour vous). Vous y êtes ? Eh bien voilà, le rococo c’est cela. Légèreté, hédonisme, nature, un style décoratif particulièrement prisé par les fortunes de l’époque en Europe.
Balançoire & chill
Le courant se diffuse dans tout le continent et même au-delà : du palais de l’Amalienborg au Danemark jusqu’au Catherine Palace de Saint-Pétersbourg en Russie ; s’exportant même dans les salons new-yorkais au milieu du XIXe siècle. C’est pourtant bien en France que le rococo trouve toutes ses lettres de noblesse (cocorico !), le style atteignant son apogée sous le règne de Louis XV pour remplacer le classicisme, jugé trop formel et sérieux pour l’époque.
Le Catherine Palace. Oui, ça claque.
La seconde moitié du XVIIIe siècle sifflera la fin de la récréation pour le rococo, l’Europe retrouve son sérieux et souhaite revenir au « vrai style », à la vertu classique et à un art moins frivole. Fini les pique-niques à Versailles avec les charmantes demoiselles de la Cour, désolé de casser un peu l’ambiance, j’espère que vous ne m’en voudrez pas trop…
Le néoclassicisme : retour aux sources antiques
Le rejet de la légèreté et de la « décadence » que représentait le rococo laisse une ouverture pour un style d’un genre nouveau. Nouveau ? Vraiment ? Pas tant que ça, car c’est en effet en puisant dans les traces de l’héritage gréco-romain que le néoclassicisme trouve toutes ses marques. On fait alors éloge de la rigueur et de la morale classique, du stoïcisme et de la vertu antique.
C’est tout de suite plus sérieux.
Cette inclination récente pour l’Antiquité n’est pas sans lien avec les découvertes archéologiques de l’époque ; on ne peut alors que souligner le travail de l’historien et archéologue allemand Johann Joachim Winckelmann, dont les écrits apparaissent comme fondateurs pour l’apparition de l’esthétique néoclassique. Ce mangeur de choucroute était en effet un véritable soldat intellectuel du monde grec (jawohl !), donnant des claques sévères aux adeptes de l’univers « décadent » du baroque et du rococo de l’époque.
Par sa devise : « Noble simplicité et calme grandeur », Winckelmann donne le ton pour l’émergence de ce genre nouveau, sa vision radicale de l’idéal artistique grec faisant l’effet d’une bombe auprès des élites politiques et intellectuelles de l’époque. C’est à lui qu’on doit l’histoire de l’art par son ouvrage Réflexions sur l’imitation des œuvres grecques dans la sculpture et la peinture ; à lui aussi qu’on doit la distinction entre culture grecque et romaine de par ses découvertes archéologiques en Italie.
Le courant des Lumières jouera également un rôle significatif dans le développement du néoclassicisme ; la vision idéaliste et rationnelle de l’héritage antique concordant plutôt bien avec l’agenda révolutionnaire. On admire alors les sociétés gréco-romaines sur le plan politique et philosophique, tant et si bien que nombre d’intellectuels de l’époque considéraient ces modèles comme indépassables.
La révolution avec un grand A
Bon, tout cela est bien joli, mais concrètement, ça ressemble à quoi le néoclassicisme ?
En peinture, le courant se traduit par une clarté et un pragmatisme sur la forme : les lignes sont nettes, le pinceau laisse peu de traces sur la toile ; le néoclassicisme se veut réaliste et sans abstractions (Picasso n’a qu’à bien se tenir). Ce qui rend la peinture néoclassique particulièrement saisissante, c’est la finesse des détails qui la composent : la virtuosité des artistes du genre se trouve en effet dans le degré de perfection qu’ils pouvaient atteindre dans leurs réalisations. La qualité des drapés, souvent d’une grande complexité, témoigne d’une technique remarquable ; certains tableaux semblant presque impossibles à réaliser.
La lumière sur la robe est incroyable.
Cette attention portée au détail se retrouve également dans la sculpture. Les Européens ayant vraisemblablement une fascination pour les choses compliquées, c’est tout naturellement qu’il en fut de même avec le travail de la pierre. Le marbre se transforme alors en chair et en tissu, dans des formes et des postures au réalisme absolument époustouflant. Je vous laisse apprécier ces quelques sculptures de personnages aux corps peu désagréables à l’œil, c’est cadeau, faites-vous plaisir (mais pas trop quand même hein).
En architecture, le néoclassicisme reprend quasiment trait pour trait l’esthétique classique de la civilisation gréco-romaine, avec ses colonnes et frontons aux divines proportions ; la précision géométrique et la symétrie étant alors considérées comme des éléments consubstantiels à la beauté. Les bâtiments publics et monuments divers reprennent ce style un peu partout en Europe, la Porte de Brandebourg en Allemagne étant l’un des édifices les plus célèbres du genre.
De Chaudet à Ingres, la France s’illustre
Vous reprendrez bien une bonne dose de chauvinisme, non ? Allez, c’est moi qui vous l’offre !
Si tous les pays sont égaux, certains sont sans doute plus égaux que d’autres. En effet, comment ne pas reconnaître le génie artistique hors du commun de la France, dont les œuvres continuent, aujourd’hui encore, d’émerveiller le monde ? Une chose est sûre, le néoclassicisme n’aurait jamais été aussi grand si la France ne l’avait pas porté aussi haut.
Les peintres tels que Jean-Auguste-Dominique Ingres, Antoine-Jean Gros ou encore Jacques-Louis David figurent parmi les artistes les plus prestigieux dans le domaine néoclassique. On compte également dans nos rangs quelques sculpteurs exceptionnels, à l’instar de James Pradier, Antoine Denis Chaudet et Jean-Antoine Houdon ; même s’il faut bien reconnaître (à regret) que les Italiens restent maîtres dans la maîtrise du marbre (les statues de Canova sont à tomber par terre).
L’arrivée sur le trône de Napoléon Ier au début du XIXe siècle propulsera les artistes néoclassiques au sommet, portés par le courant impérial et le faste de l’époque. La grandeur de la France se marie alors à merveille avec celle de l’art néoclassique, un tel triomphe que l’empereur en fera même un Arc (vous l’avez ?).
« Mettez plus de doré svp, on n’est pas là pour faire des économies »
Finalement, le courant se dissipa peu à peu avec l’arrivée du romantisme (en vérité déjà amorcée à la fin du XVIIIe siècle) ; la raison classique laissant alors sa place à l’effusion sentimentale et la rêverie mélancolique. Les temps changent, le néoclassicisme tombe en désuétude ; la grandeur antique revisitée expire alors son dernier souffle au premier quart du XIXe siècle.
Et maintenant : un néo néoclassicisme à l’ère moderne ?
Retour au XXIe siècle. Vous n’êtes pas sans savoir que la noblesse de l’art esthétique n’est plus tout à fait d’actualité dans les agendas de nos sociétés modernes. Vous avez sans doute constaté d’ailleurs à quel point nos villes se sont enlaidies au fil des années ; et combien les productions artistiques modernes, mises sur un piédestal et vendues à prix d’or, peuvent être viles et désincarnées. Se pose alors la question de savoir si la civilisation européenne qui est la nôtre est encore capable de produire de la beauté, ou si elle n’a pas définitivement sombré dans la laideur et la médiocrité.
Rome inaugurates a 13-metre high replica of the ancient Colossus of Constantine. pic.twitter.com/1gkow07uaB
— Wanted in Rome (@wantedinrome) February 6, 2024
Ouais, c’est pas encore ça.
Lorsqu’on pense à un retour de l’art noble et réincarné, le néoclassicisme nous vient immédiatement à l’esprit (d’autant plus après lecture de cet article, n’est-ce pas ?). Seulement voilà, si celui-ci était le fruit d’une inclination pour la vertu et la morale classique, il semble alors évident qu’un « néo néoclassicisme » ne pourrait apparaître que dans une société portée par ces mêmes idéaux. L’embellissement ou plutôt le réembellissement du monde dépendra donc inévitablement d’un retour à un certain esprit classique, alimenté par une volonté de grandeur et d’excellence.
Cultiver en soi et autour de soi cette volonté apparaît alors comme un impératif civilisationnel. Gardons à l’esprit que l’horizon esthétique de demain n’arrivera pas tout seul mais sera le reflet de ce que nous incarnons à échelle individuelle. Tout part de nous et de notre niveau d’exigence personnelle : « charité bien ordonnée commence par soi-même. » Exalter la beauté et la grandeur, rejeter la médiocrité et la laideur : c’est par ces fondements éternels de la civilisation européenne que le génie artistique européen pourra de nouveau s’exprimer pleinement.
Tel le Napoléon de Jacques-Louis David franchissant le Grand-Saint-Bernard sur sa monture, c’est avec panache et volonté de puissance que les Européens devront réaffirmer le renouveau esthétique sur le continent. Dans l’espoir qu’un jour, cet esprit-là renaisse, vive l’Europe et vive la beauté !
[…] On vous a d’ailleurs encore récemment parlé d’art et de beauté : Article – Néoclassicisme, l’Europe au sommet de son art […]