Les amateurs de science-fiction connaissent bien Christopher Priest : Le Prestige a été adapté au cinéma par Christopher Nolan avec Christian Bale et Hugh Jackman ; et Le Monde inverti est un chef-d’œuvre du genre. Pourtant le premier livre de cet auteur respecté est absent des conseils de lecture qu’on trouve sur le net… et pour cause : Notre île sombre est terriblement sulfureux !
Sans spoiler, on vous explique pourquoi la lecture de cette pépite méconnue est plus que conseillée.
« Il semblait qu’il y eût à bord un nombre infini de personnes et que ce débarquement ne dût jamais se terminer. »
Le camp des saints + guerilla
Écrite en 1972, quatre ans après le discours d’Enoch Powell mais un an avant Le Camp des saints, Notre île sombre raconte l’invasion de l’Angleterre par des millions d’Africains et la guerre qui en découle.
On comprend dès la première phrase du roman, « J’ai la peau blanche », que Christopher Priest ne maniera pas la langue de bois. Débarquements massifs, violences inter-ethniques, milices privées, quartiers sinistrés, évacuations des civils : tout va très vite.
Au fil des descriptions de cet effondrement civilisationnel, on pense forcément à Guerilla, de Laurent Obertone. Au film post-apocalyptique La Route (2009) également. Notre île sombre pousse cependant plus loin l’observation politique : les Africains sont armés par les communistes et soutenus par des ONG gauchistes. Certaines choses ne changent pas…
Un livre dont vous êtes le héros… médiocre
Le plus intéressant dans ce livre est qu’il se concentre sur les réactions des citoyens ordinaires. Car si deux camps, pro et anti immigrés apparaissent rapidement, la plupart des Anglais demeurent neutres, ne demandant qu’à poursuivre, tant bien que mal, leur vie d’avant.
C’est le cas du narrateur : Alan Whitman, littéralement « un homme blanc ». Il est diplômé mais sans ambition, toujours hésitant, mollement de gauche par humanisme. Son mariage a du plomb dans l’aile. Bref, il incarne ce que Laurent Obertone appelle « monsieur Moyen ». Que ce soit pour son couple ou la guerre qui s’installe, le héros peine à réagir. Whitman espère que d’autres que lui arrangeront la situation : sa femme, le gouvernement, l’ONU, le chef du groupe qu’il rejoint…
Le thème central : l’engagement
Dans une scène marquante, après avoir fui en catastrophe sa ville attaquée par des soldats africains, alors que Whitman erre avec sa famille sur les routes depuis des jours, sa femme, exténuée par son incapacité à prendre une décision, lui hurle :
« Vole une voiture, tue quelqu’un, fais n’importe quoi pourvu que tu nous ramènes à la civilisation ! »
Cette apathie face à des éléments catastrophiques est un des principaux thèmes du livre. Quel est le déclic nécessaire pour qu’un homme endormi par le confort de la modernité réagisse enfin à une situation exceptionnelle ?
« Nous avions cessé alors d’être aveugles à ce qui se passait autour de nous. »
Les moteurs de la prise de conscience
Par un mélange d’humanisme et de lâcheté, le narrateur refuse longtemps de choisir un camp et même de s’armer pour sa propre sécurité. Cela vous paraît fou, en pleine guerre ? La France est pourtant pleine de ces utopistes qui négocient avec le cinglé qui les pourchasse au couteau.
Plusieurs points de bascule psychologique vont permettre au narrateur de prendre conscience de la gravité de la situation. Par exemple lorsque Whitman arrive à Londres et vit un choc qui vous sera peut-être familier:
« Je découvris avec une sorte d’étonnement que les quartiers Est de Londres étaient une série de ghettos mal délimités entre eux, où vivaient pêle-mêle des Juifs, des Noirs, des Chinois, des Grecs, des Chypriotes, des Italiens et des Anglais. Jusqu’à ce jour, j’avais toujours imaginé que cette partie de Londres était essentiellement blanche. »
Car ce que montre aussi le roman, c’est l’importance du contrôle de l’information : une ville peut subir l’horreur mais le reste du pays n’entendra parler que de « troubles à l’ordre public ». Le parallèle est saisissant avec notre époque : CNEWS et Elon Musk sont conspués parce qu’ils libèrent la parole, tandis que le système minimise les conséquences négatives de l’immigration.
C’est uniquement lorsque Whitman découvre lui-même un acte de pure barbarie commis par l’ennemi qu’il décide d’utiliser une arme pour la première fois :
« L’incident me causait un immense plaisir : c’était la première fois que je prenais une part active dans la guerre. Par ce geste, je m’étais engagé. »
Il faudra cependant attendre les toutes dernières lignes du roman, atroces et symboliques, pour que Whitman réalise enfin l’enjeu de cette guerre et prenne définitivement son destin en main.
Pourquoi il faut lire « Notre île sombre »
Écrite par Christopher Priest, un des grands noms de la SF britannique, Notre île sombre fait partie, comme Le Camp des saints, de ces romans précurseurs annonciateurs des catastrophes à venir.
Le titre anglais est Fugue for a Darkening Island et, comme dans une fugue musicale, les chapitres entremêlent les époques avec talent : la jeunesse du narrateur, les premiers débarquements, le début de la guérilla, l’effondrement… ce qui rend la lecture bien plus stimulante qu’un ordre chronologique prévisible.
Au-delà de la description fascinante d’un Grand Remplacement militaire, Notre île sombre interroge sur ce qui pousse les hommes ordinaires à l’action, quand ils réalisent que ce qu’ils ont de plus précieux est menacé.
On voit malheureusement encore aujourd’hui beaucoup d’Européens favorables à l’immigration parce qu’ils n’en visualisent pas toutes les conséquences. Les horreurs des « faits divers » sont minimisées par la presse et c’est lorsque la censure n’agit plus, lorsque la tragédie nous frappe en plein cœur, que nous réagissons enfin. Ce livre décrypte parfaitement ce mécanisme.
Note : Notre île sombre était initialement disponible en français sous le titre Un rat blanc.