Tout le monde adore Dracula. Depuis sa publication en 1897, le roman de Bram Stoker a engendré d’innombrables films, séries, BD et jusqu’aux jeux vidéo. Le mythe du mystérieux immortel effraye autant qu’il séduit !
Cependant il faut remonter au livre originel pour découvrir LE thème interdit par excellence : celui de la fierté ethnique.
Bram Stoker était en effet un conservateur britannique et un nationaliste convaincu. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait glissé un message identitaire au cœur de son roman. Pas étonnant non plus que les adaptations commerciales successives aient préféré le mettre de côté pour se concentrer sur l’ambiance gothique, fascinante mais inoffensive.
Examinons ça en détail.
« Nous avons le droit d'être fiers… »
La thématique identitaire est introduite via un long monologue, dans le chapitre 3, lorsque le comte Dracula parle avec emphase de ses ancêtres :
« Nous avons le droit d’être fiers, car dans nos veines coule le sang de maints races braves et courageux qui se sont battus comme des lions — pour s’assurer la suprématie. Dans ce pays où tourbillonnent différentes races européennes, les guerriers venus d’Islande ont apporté cet esprit belliqueux que leur avaient insufflé Thor et Odin, et ils ont déployé une telle furie sur tous les rivages de l’Europe — de l’Europe, certes, mais aussi de l’Asie et de l’Afrique — que les gens se croyaient envahis par des loups. »
Et d’ajouter, en évoquant les invasions historiques qui ont frappé sa région :
« Les imbéciles ! Quelle sorcière, quel démon fut jamais aussi puissant qu’Attila dont le sang coule dans nos veines ? s’écria-t-il en relevant ses manches afin de montrer ses bras. Dès lors, faut-il s’étonner que nous soyons une race conquérante et fière, que lorsque les Magyars, les Lombards, les Avars ou les Turcs tentèrent de passer nos frontières par milliers, nous sûmes toujours les repousser ? »
Comme on le voit, les termes sont dits ! À l’époque – nous sommes à la fin du 19e siècle – il n’y avait là rien de choquant… si ce n’est qu’il était plutôt inhabituel de croiser ces propos dans un roman fantastique. Pourquoi l’auteur a-t-il fait ça ?
Dracula : un monstre ou un exemple ?
En réalité, avec sa créature assoiffée de sang, Bram Stoker invoque ce que ses contemporains sont en train de perdre : une certaine hargne primale, doublée d’une conscience aiguë de leur destin.
Il délocalise la figure héroïque habituelle. Le noble guerrier, fier et sophistiqué, n’est pas ici un aristocrate britannique mais un puissant vampire des Carpates. Par certains aspects, Dracula incarne ce qu’étaient les Britanniques, avant que la modernité ne les ramollisse. Ce n’est pas un hasard s’il évoque le sang saxon qui coule dans ses veines :
« Quatre races se sont implantées en Transylvanie : au sud, les Saxons auxquels se sont mêlés des Valaques. »
En donnant des ancêtres saxons à Dracula, Bram Stoker incite le lecteur à s’identifier à son personnage. C’est la même astuce qu’aujourd’hui, lorsque les influenceurs de droite ajoutent à leurs messages politiques une figure emblématique de l’imaginaire européen, que ce soit un Gaulois déter, l’Empire romain, Aragorn ou Ryan Gosling.
Ajoutons que Dracula est le premier vampire doté d’une origine complexe et émouvante : il est devenu un monstre parce que la femme qu’il aimait est morte ! Ce détail le rend plus humain et attachant.
De Charles Martel à Vlad l'Empaleur
Notre vampire n’est pas qu’un identitaire maudit, il est de ceux qui ont lutté contre l’invasion musulmane: « Et n’est-ce pas un des miens qui traversa le Danube pour aller battre le Turc sur son propre sol ? Oui, c’est un Dracula ! »
Bram Stoker s’est en effet inspiré de Vlad III l’Empaleur qui, comme son surnom l’indique, n’était pas très fan du vivre-ensemble.
Cependant :
« Le temps des guerres est passé. Le sang est considéré comme chose trop précieuse, en notre époque de paix déshonorante ; et toute cette gloire de nos grands ancêtres n’est plus qu’un beau conte. »
Dracula, et à travers lui Bram Stoker, voit se profiler à l’horizon l’idéologie droit-de-l’hommiste. Celle d’un Badinter refusant d’exécuter un tueur d’enfants ; celle des « vous n’aurez pas ma haine ». Il s’inquiète du type d’hommes que ce refus du conflit va créer.
Mais est-il vraiment trop tard ? Avec son livre, Bram Stoker va montrer qu’il est possible de reviriliser même le plus bobo des intellos.
Reviriliser l'Europe
Revenons à l’intrigue : la jeune Mina Harker est séduite contre son gré par Dracula. En fait, c’est le sang du vampire qui agit sur elle. Son fiancé est un scientifique et, pour la reconquérir, il devra retrouver la force de ses ancêtres.
On arrive au message du roman : en plantant un pieu dans le cœur du monstre, le héros redevient un homme d’action, c’est-à-dire un Européen suffisamment sauvage pour affronter les dangers qui menacent les siens.
L’histoire se termine par le mariage du jeune couple et la naissance de leur premier fils, symbole d’espoir et de renouveau.
Dracula n’est donc ni tout à fait un ennemi, ni tout à fait un exemple. Il est cette part d’ombre, à la fois dangereuse, mais nécessaire à notre équilibre.
Vous pourrez regarder les adaptations d’un tout nouvel œil, désormais !
