Si cette fête est officiellement née de l’autre côté de la Manche, la tradition de la Saint-Valentin doit beaucoup, dès le XVe siècle, aux poètes et poétesses français.
On vous explique pourquoi en trois épisodes clefs.
Chaucer : l’invention de la Saint-Valentin
C’est en 1382, dans un long poème métaphorique célébrant le retour du printemps, que Geoffrey Chaucer, le « père de la littérature anglaise », a l’idée d’associer saint Valentin à la fête des amoureux.
Le Parlement des Oiseaux : le premier poème décrivant la Saint-Valentin, écrit par Chaucer en 1382
(tableau de Carl Wilhelm de Hamilton).
Bien qu’originale, cette œuvre tire une partie de son inspiration de l’amour courtois et ce n’est pas un hasard : dans toute l’Europe, ces thématiques sont à la mode et, quelques années plus tôt, Chaucer avait traduit en anglais le Roman de la Rose, qui était alors un véritable best-seller.
La diffusion de ces nouvelles modes littéraires se fait dans les deux sens : en Angleterre, Chaucer côtoie des poètes de langue française comme Othon III de Grandson, qui popularisera ensuite la Saint-Valentin sur le continent, notamment à la cour de Savoie.
La cour d’Amour : une Saint-Valentin codifiée à la gloire des femmes
En 1401, une Cour amoureuse est fondée à Paris sous le patronage du roi Charles VI. Des cours similaires existaient depuis des siècles, mais celle-ci est la première à codifier dans une charte les règles à suivre lors du 14 février.
La cour d’Amour, illustrée dans un manuscrit de l’époque.
Pas de match Tinder ici : le jour de la Saint-Valentin, après une messe matinale, les couples sont tirés au sort parmi la noble assemblée, dont les membres se nommaient les Poursuivants d’Amour.
Le jeu consiste ensuite à déclamer à sa ou son partenaire surprise des balades, rondeaux et autres poèmes sur un thème imposé mais toujours en respectant une attitude chevaleresque.
Sur ce point, la charte de cette cour ordonne que les participants « ne fassent en quelconques façons déshonneur, reproche, amenuisement ou blâme des dames, damoiselles, religieuses ou trépassées. »
Un véritable scandale a d’ailleurs lieu lorsque Alain Chartier y présente un poème, La Belle Dame sans mercy, dans lequel une dame refuse les avances d’un gentilhomme, au point qu’il en meurt de désespoir. Considéré comme outrageant envers le sexe féminin, ce texte fut un immense succès mais son auteur fut banni de la cour d’Amour ! Les #MeToo de l’époque étaient bien différents des nôtres…
La grande poétesse Christine de Pizan règne, superbe, sur cette assemblée galante. Lorsqu’elle n’est pas occupée à arbitrer de telles querelles, elle écrit des balades pour le 14 février :
Écrit le jour Saint Valentin
Ou maints amants dès le matin
Choisissent amours pour l’année,
C’est le droit de cette journée.
Christine de Pizan, la première femme à gagner sa vie par sa plume
(enluminure du XVe siècle).
Charles Ier, duc d’Orléans : le premier valentin
Mais le Français ayant le plus influencé notre Saint-Valentin moderne est sans nul doute Charles d’Orléans, le prince-poète au destin tragique.
Tragique parce qu’en 1415, Charles n’a que 21 ans lorsqu’il charge sur les Anglais à l’effroyable carnage d’Azincourt. Contrairement aux 6000 autres chevaliers qui mourront dans la boue, il survit mais sera fait prisonnier… pendant un quart de siècle !
Le prince Charles, duc d’Orléans, poète de la Saint-Valentin.
Ici représenté dans son habit de chevalier de la Toison d’or.
25 longues années de captivité en Angleterre, pendant lesquelles il se familiarise avec la poésie de Chaucer, compose ses propres poèmes et participe, comme Othon et Christine de Pizan avant lui, à populariser la Saint-Valentin en français.
Car Charles a une jeune épouse, nommée Bonne d’Armagnac, qu’il ne reverra jamais mais à qui il dédiera de tendres poèmes. C’est un de ses rondeaux qui marquera l’histoire.
Je suis desja d’amours tanné,
Ma très doulce Valentinée…
Manuscrit du XVe siècle
Son poème présente deux innovations :
- C’est la plus ancienne « carte » de Saint-Valentin connue. Les autres poèmes de l’époque n’ayant pas de destinataire explicite.
- C’est surtout la première utilisation du terme valentine / valentin comme synonyme d’amoureux (facilité par l’homophonie avec le mot galant / galantin).
Rien d’officiel, mais on commence ainsi à s’éloigner de la tradition instaurée par Chaucer et la cour d’Amour voulant que le 14 février, les couples soient choisis aléatoirement, par jeu, le temps d’une journée.
(Notons au passage que la mère de Charles d’Orléans se nommait Valentine Visconti. Ce prénom a-t-il eu un effet sur le destin poétique du fils ? Difficile à dire…)
Quoiqu’il en soit, lorsque son épouse Bonne d’Armagnac meurt loin de lui, de l’autre côté de la Manche, Charles d’Orléans continue tristement de lui dédier des rondeaux (ici en français moderne) :
Le beau soleil, le jour de la saint Valentin, (…)
je pleurai mon dur destin,
en disant : « Oiseaux, je vous vois prêts à accéder
à tous les plaisirs et à la joie que vous désirez.
Chacun d’entre vous a un compagnon
ou une compagne qui lui plaît,
et moi, je n’en ai pas, car Mort, qui m’a trahi,
a pris ma compagne :
c’est pour cela que je languis en tristesse. »
(…)
Que leur Saint-Valentin choisissent, cette année,
ceux et celles qui sont du parti des amoureux !
Je resterai seul, sans consolation,
sur le dur lit de douloureuse pensée.
En 1440, Charles d’Orléans est enfin libéré. Peu doué pour la politique, son frère (fameux compagnon d’armes de Jeanne d’Arc) lui conseille sagement de se limiter à ce qu’il fait le mieux : la poésie.
Manuscrit du XVe siècle.
Et bien lui en prit puisqu’avec 131 chansons, 102 ballades et plus de 400 rondeaux, Charles créera ce qui est l’un des ensembles poétiques français majeurs des XVe et XVIe siècles. De par sa production et son rang royal, il est un des artistes qui influencera le plus la Saint-Valentin.
Ultime preuve que la vie réserve bien des surprises : non seulement Charles d’Orléans se remarie avec la jeune Marie de Clèves mais, alors qu’il a 67 ans, naît enfin son premier fils : le futur roi Louis XII.
La Saint-Valentin au XXIe siècle
Maintenant que vous connaissez l’histoire côté français, il ne tient qu’à vous de poursuivre la tradition… et pourquoi pas avec un poème (ou son équivalent moderne) de votre composition ? Comme invitait à le faire Charles d’Orléans :
A ce jour de saint Valentin,
Venez avant, nouveaux faiseurs,
Faictes de plaisirs ou douleurs
Rymes en françoys ou latin.
Ne dormez pas trop au matin,
Pensez à garder voz honneurs.
A ce jour de saint Valentin.
Charles d’Orléans prisonnier des Anglais dans la tour de Londres.
Manuscrit du XVe siècle.
Franchement très intéressant, on parle de cette fête sans en connaître les fondements.