Et si le beauf était la preuve indirecte de notre grandeur collective ? Enquêtons.
Le beauf français : à l’origine du mythe
Ironiquement, c’est un caricaturiste de gauche, Cabu, qui remit au goût du jour le mépris de classe, en créant la figure du Beauf (contraction de « beau-frère ») dans Charlie Hebdo, à la fin des années 60.
Il imagine alors un personnage bedonnant, moche et franchement con pour représenter le Français moyen.
Ce nouvel archétype signe un choc copernicien pour la gauche. À l’époque, la désillusion est terrible pour elle : l’ouvrier veut bien manifester pour une augmentation mais, fondamentalement, il reste attaché à ses traditions, son clocher et sa patrie. Le peuple préfère Le Chasseur français à Sartre, Brigitte Bardot à Conchita Wurst et accueillir le Tour de France plutôt que des Tchétchènes sanguinaires.
Bref, derrière sa rusticité, le beauf est un libre penseur, un résistant de la France des terroirs.
L’ouvrier vu par la gauche :
musclé et fringant s’il est socialiste, bedonnant et bas du front sinon.
Cabu imagina donc le Beauf pour répondre à ce constat et le succès fut immédiat. Toute l’intelligentsia lui emboîta le pas :
- Le cinéma dénonce le racisme populaire dans Dupont Lajoie ou La Crise ;
- Les chanteurs attaquent l’enracinement et la vulgarité ;
- La télévision, avec l’esprit Canal, réussit l’exploit de vendre du foot à ceux dont elle se fout le reste du temps ;
- Etc.
Dès le début il y a une certaine dissonance cognitive : beaucoup à gauche étaient sincèrement proches des prolos mais n’ont jamais supporté ce qui allait avec : un reste de croyance, une petite homophobie instinctive, le respect de la police… L’humour de Groland est un bon exemple de cette contradiction.
En réalité, le grand drame de la gauche est de ne pas avoir su trouver un peuple à la fois authentique en actes et progressiste idéologiquement. À croire que c’est incompatible !
Mais quid des beaufs des autres pays ? Zoom sur deux études de cas.
Le cas américain : beyond ze beauf
Les Français, en particulier de gauche, rangent l’intégralité des États-Unis dans la catégorie beauf.
Ainsi ils critiqueront leurs fast-foods, le kitsch de leurs parcs d’attractions, leur manque de culture générale, leur exubérance, leur industrie hollywoodienne, leur amour des armes à feu, et jusqu’à la coiffure de leur président (uniquement s’il est de droite, évidemment).
Avez-vous déjà vu un média français
moquant la vulgarité d’un président africain ?
Dans les salons parisiens, on s’échangera d’un sourire entendu la formule classique : « Les États-Unis sont le seul pays passé de la barbarie à la décadence sans jamais avoir connu la civilisation ».
En traversant l’Atlantique, le beauf devient le symbole du manque de classe pour tout un pays.
Les USA : « empire du kitsch ».
Exemple parmi d’autres d’un pays entier considéré comme beauf.
Notons tout de même une différence significative de point de vue entre la France et les États-Unis : de South Park à Malcolm, les rednecks, trailer trash, white trash et autres bouseux du Middle West, sont innombrables mais, contrairement au Beauf de Cabu qui est conçu pour être détestable, ceux des productions américaines restent sympathiques malgré leur ridicule.
Trailer Park Boys : débiles mais sympathiques
Il faut dire que les USA n’ont pas encore ce rapport tordu au peuple qui consiste à le dénigrer parce qu’il n’est pas à l’avant-garde du progressisme. Surtout, le pauvre reste un consommateur, et la nation de l’oncle Sam n’oublie jamais ce genre de détails.
Est-ce pour cette raison ? Ou par simple ressentiment envers la première puissance mondiale ? Toujours est-il que les idéologues français, de gauche comme de droite, vont appliquer à ce pays entier le traitement qu’ils imposent au beauf.
Le beauf africain, cet inconnu
En France, aux USA, mais aussi en Belgique, en Angleterre, etc., les médias utilisent donc la thématique du plouc pour moquer et dénoncer des idées politiques trop à droite, c’est-à-dire trop enracinées.
Mais curieusement, tout ceci ne semble s’appliquer qu’à l’Occident et à une poignée d’autres pays développés, comme le Japon.
Avez-vous déjà vu un journal faire un article sur la beaufitude de l’Afrique, comme se le permet par exemple Le Monde avec les Italiens ?
Pourtant un paysan algérien fan de foot, un Éthiopien blaguant sur l’homophobie, un Saoudien avec gourmette, iPhone et Lamborghini plaqués or, un Congolais chassant dans la brousse… ne sont-ils pas des équivalents exotiques de nos beaufs bleu-blanc-rouge ?
Jean-Bedel Bokassa, ancien président de la Centrafrique et empereur du bon goût.
La gauche se contentera de critiquer la politique répressive des gouvernements africains, mais jamais leur vulgarité ou leurs mœurs idiotes.
C’est le même phénomène pour la culture : une œuvre écrite par un Français sera descendue par nos critiques si elle est rétrograde, sexiste, ou simplement quelconque ; mais l’équivalent sera considéré comme le chant émouvant d’un peuple opprimé si son auteur est extra-européen.
Sardou : ringard, sexiste et limite fasciste.
N’importe quel album de rap : écoute obligatoire si vous êtes progressiste.
Pourquoi ce double traitement ? Pourquoi ne jamais se moquer des beaufs africains ?
Est-ce simplement par peur d’être accusé de racisme ? Probablement, en partie. Mais une autre raison existe.
De quoi le beauf est-il le nom ?
Avançons une hypothèse : en attaquant le beauf uniquement lorsqu’il est occidental, la gauche intériorise le fait que ces populations, collectivement, sont capables du meilleur.
Inconsciemment, nos chers bobos comparent :
- d’un côté le prolo, vautré dans sa chaise en plastique, bière à la main, ricanant bêtement en se grattant l’entrejambe ;
- de l’autre la gastronomie fine et la physique quantique, les ballets de Tchaïkovski et la fusée Ariane, l’élégance à la française et la pensée humaniste.
Inconsciemment, la gauche reproche donc au beauf de ne pas être à la hauteur de ce que ses semblables sont et de ce qu’il pourrait être, s’il faisait un effort.
A contrario, lorsqu’un aborigène d’Australie fait le kéké… la gauche se contente de le considérer comme une merveille de primitivisme naturel car elle n’attend rien de plus de lui.
Le beauf, écrevisse civilisationnelle ?
Les biologistes savent que l’écrevisse est un indicateur précieux de la santé d’un cours d’eau. Si cet animal prospère dans une rivière, c’est que la qualité de l’eau est optimum. Si l’écrevisse disparaît, c’est qu’elle est polluée.
En reprenant ce concept, osons voir le beauf comme une sorte de mètre étalon civilisationnel : puisque ceux qui le critiquent regrettent qu’il ne soit pas plus sophistiqué, sa présence est la preuve indirecte que la société dans laquelle il évolue est capable du plus grand raffinement.
Moralité : on vous traite de beauf ? Soyez-en fier ! Non seulement cela vous place de facto bien à droite de l’échiquier politique, mais cela signifie aussi que vos compatriotes envoient des fusées dans l’espace. Et ça, il y a de quoi bomber le torse !