Le moine qui défonçait les envahisseurs

Le moine qui défonçait les envahisseurs

Encore plus énorme que les 300 Spartiates ou que les 134 Français qui résistèrent victorieusement contre 12 000 assaillants à Mazagran, saviez-vous qu’un jeune moine de l’Indre-et-Loire, frère Jean des Entommeures, a affronté à lui seul 13 622 soldats ? Il faut dire qu’il s’agissait pour lui de sauver le bien le plus précieux de tout homme qui se respecte : sa cave à vin !

Alors, certes, cette histoire a l’inconvénient d’être légèrement (voire totalement) imaginaire mais elle est si pleine de vie et de bon esprit français qu’on lui pardonnera ce petit défaut.

 

Notre héros se nomme Jean des Entommeures : un personnage imaginé par Rabelais pour accompagner Gargantua dans ses aventures mais qui, avant de le rencontrer, menait une vie paisible de moine à l’abbaye de Seuilly.

Le lieu du terrible massacre, de nos jours

Observez-bien ce paysage ! Aujourd’hui, il servirait probablement de décor à un énième film misérabiliste à base d’agriculteur cocu et d’immigré porteur d’espoir, mais l’époque de Rabelais avait soif de grandiose, de bastons et d’éclats de rire ; c’est donc ce qu’il a fourni et que nous allons proposons vous faire de revivre.

 

À l’abbaye, la journée commençait calmement

Notre récit se déroule dans les campagnes du Val de Loire, à une période indéterminée de la fin du Moyen-Âge. Le frère Jean travaille comme d’habitude dans les vignes de l’abbaye quand il aperçoit avec horreur une armée étrangère qui approche et commence même à saccager la récolte !

Des milliers d’ennemis assoiffés ! 13 622 pour être exact, dixit Rabelais qui aimait parodier les livres d’histoires. Que faire ?!

En moine soucieux du protocole, Jean court d’abord trouver les autres frères mais ceux-ci, terrifiés, sont réfugiés dans le chœur de l’église pour prier. Pire : ils lui reprochent de troubler le service divin !

Jean leur fait alors remarquer qu’ils seraient bien incapables d’assurer le service divin sans le service du vin. Mais rien à faire : ils restent planqués derrière leurs bancs de messe comme des adhérents LR devant la montée de l’islamIl les abandonne donc, plus déterminé que jamais à repousser l’envahisseur tout seul puisqu’il le faut.

 

Activation du mode berserk

N’écoutant que sa rage à l’idée que des malandrins mettent en péril sa production viticole, Jean des Entommeures arrache son froc de moine, se le balance dans le dos façon cape de super-héros et attrape l’immense bâton de croix qui traînait par là. 

Il s’élance alors et, brandissant une poutre de trois mètres au-dessus de sa tête, court torse nu sur les envahisseurs qui ne demandent qu’à piller tranquillement.

« Il les cogna si roidement, sans crier gare, qu’il les culbuta comme porcs. »

L’Armageddon commence !

Puisque Rabelais, en humaniste de ce début du XVIe siècle, avait une formation de médecin, le combat n’est pas une simple boucherie mais devient l’occasion d’un véritable cours d’anatomie dont voici un florilège :


Âmes sensibles…

« Aux uns, il écrabouillait la cervelle, à d’autres, il brisait bras et jambes,
à d’autres, il démettait les vertèbres du cou !

À d’autres, il disloquait les reins, effondrait le nez,
pochait les yeux, fendait les mâchoires,
enfonçait les dents dans la gueule, défonçait les omoplates,
déboitait les fémurs, débezillait les fauciles… »

Jean des Entommeures, vu par Gustave Doré

 

La fuite n’est pas une option :

« Si un autre cherchait son salut en fuyant,
il lui faisait voler la tête en morceaux en le frappant à la suture occipito-pariétale. »
« Si un autre grimpait à un arbre, croyant y être en sécurité,
avec son bâton, il l’empalait par le fondement. »

Et à ceux qui demandaient pitié :


« Si quelqu’un se trouvait suffisamment flambant de témérité pour vouloir lui résister en face, c’est alors qu’il montrait la force de ses muscles,
car il lui transperçait la poitrine à travers le médiastin et le cœur. »

Adaptation tarantinesque
Le carnage reprend de plus belle :

« À d’autres, il crevait si violemment le nombril qu’il leur en faisait sortir les tripes.
À d’autres, il perçait le boyau du cul entre les couilles. »

Ce sur quoi Rabelais conclut : 

« Croyez bien que c’était le plus horrible spectacle qu’on ait jamais vu. »

Et on veut bien le croire !


Fin des hostilités, faute de combattants 

Quoi qu’il en soit, tout finit bien : Jean des Entommeures, aidé de quelques enfants de chœur venus lui prêter main forte, confesse les derniers survivants et… les expédie tous devant Saint Pierre qui décidera de leur sort.

Et c’est ainsi que la vaillance d’un simple moine et son aptitude à distribuer de bonnes droites sauva l’Abbaye de la destruction.

Notons au passage que les autorités n’ont rien trouvé à redire à cet usage pourtant disproportionné de la légitime défense. Au contraire, la juste violence a été célébrée ! Autres temps, autres mœurs…

D’ailleurs en récompense de cet exploit, frère Jean aura la permission de fonder une académie d’excellence où, grande nouveauté pour l’époque, les femmes étaient volontiers admises.


Un esprit sain dans un corps sain… avec du vin

Jean des Entommeures symbolise pour Rabelais un type d’homme idéal : un homme qui ferait sienne le Mens Sana in Corpore Sano de l’Antiquité mais en lui ajoutant une dimension joyeuse et tellement française qui est celle du Bon Vivant.

Terminons par deux citations du maître :

« Le jus de la vigne clarifie l’esprit et l’entendement. »

&

« La tête perdue, ne périt que la personne ;
les couilles perdues, périrait toute nature humaine. »

 

 

Baron Grenouille

 
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Note : par souci de clarté, les extraits utilisés dans cet article sont issus d’une traduction en français modernisé, disponible gratuitement en ligne. Les passionnés consulteront l’édition originale, par exemple ici. Quant à moi, je conseillerai une édition bilingue, comme celle, très complète, sortie récemment chez Gallimard.

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1 commentaire

Très drôle, merci
Je suis persuadé pour ma part que si le soldat français était le meilleur, c’est en grande partie grâce au vin

Le demi quartelin

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